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PROJET LES PALAIS
Par opposition à l’incontestable «ordre naturel des choses», «Nature Ordonnée» propose de réfléchir aux interactions de l’humanité avec la nature, par la confrontation de leurs modèles respectifs ; des gestes qui mettent en lumière la nature fascinante d’organismes et de phénomènes, que l’on tente ici de détourner d’une voie instinctive afin de les amener vers une finalité divergente.
Dans un premier temps, Nature Ordonnée propose de soumettre des modèles d’utopie humaine (organisation d’une société, architecture, notions philosophiques d’appréhension du monde) aux réflexes observés chez les animaux non-humains.
Les Palais est un projet de sculptures interrogeant l’ouvrage d’Abeilles, réputées depuis toujours parmi les Hommes pour leurs constructions et leur organisation eusociale.
Le projet Les Palais détourne les plaques de cire gaufrée dont se servent les apiculteurs pour assister les abeilles dans l’échafaudage de leurs alvéoles, bases de la ruche, recueil du miel et des larves. Des problèmes géométriques et autres curiosités mathématiques, des plans d’architectures dites utopiques considérées comme irréalisables par l’espèce humaine, mettent au défi les ouvrières expérimentées de la ruche : labyrinthes, phalanstères, ruban de Moebius, pavages de Diane, stations orbitales sont dessinées sur la cire.
L’enjeu de ce projet réside dans la faculté qu’auraient les abeilles à se détourner de leur activité instinctive, celle-là même affinée depuis plus de cent millions d’années pour la survie de leur espèce, et s’adonner à la construction de modules chimériques.
La notion de dystopie écologique, d’un futur proche où l’abeille disparaissante serait à protéger, à capturer, à faire perdurer, invite à la création de fictions d’anticipation sous la forme d’installations mêlant mimétisme, camouflage, artefacts et résilience.
INSPIRATIONS ET AXES DE RECHERCHES
« Esprit Mathématique » et perfection de la Nature
Les alvéoles des abeilles, d’un point de vue géométrique, ont soulevé nombre de questionnements parmi les scientifiques et chercheurs depuis toujours ; un astronome du 17ème siècle a même attribué aux abeilles « un esprit mathématique » de par leurs choix formels et leur logique géométrique. En effet selon les chercheurs, tout comme selon le principe de Fermat la lumière emprunterait toujours le chemin de plus court d’un point à l’autre de son parcours, les abeilles auraient élaboré depuis des millions d’années une géométrie de leurs cellules de façon à utiliser le moins de cire possible, et ce dans un souci d’économie et d’efficacité. De nombreux géomètres ont prouvé par de minutieux calculs que les trois losanges constituant le fond de l’alvéole formaient la solution la plus radicale et économique, même si n 1964, Fejes Toth montra qu’il existait une autre forme permettant une occupation encore plus optimale de l’espace et économisant aux abeilles 0,35 % de cire…
Is the Universe a simulation ?
Ainsi, Les Palais est un projet invité à rejoindre l’axe de recherches plus global mené par le commissaire et auteur Ewen Chardronnet, « AD ASTRA / Is the Universe a simulation ? BRIDGING ART, TECHNOLOGY, ASTRONOMY, MATHEMATICS AND NATURE», dont le postulat énonce entre autres les récurrences mathématiques dans la nature (fractales du végétal, abeilles, insectes et constructions mathématiques) :
« Quel genre de choses sont les entités mathématiques et les théorèmes, qu’ils sont connaissables de cette façon ? Existe-il des jardins enchantés du monde platonicien où un ensemble d’objets immatériels attendent d’être découverts ? Ou sont-ils de simples créations de l’esprit humain ?
Cette question a divisé les penseurs durant des siècles. Il semble fantasmagorique de suggérer que les entités mathématiques existent réellement en elles-mêmes. Mais si les mathématiques sont seulement un produit de l’imagination humaine, comment pouvons-nous tous toujours tomber d’accord sur exactement les même « calculs » ?
Certains diront que les entités mathématiques sont comme les pièces d’un jeu d’échec, des fictions élaborées dans un jeu inventé par les humains. Mais contrairement aux échecs, les mathématiques sont indispensables pour les théories scientifiques décrivant notre univers. Et pourtant, il existe de nombreux concepts mathématiques – des ^ 1) Gâteau de cire et alvéoles, plan de coupe avec hexagones et rhombes. 2) Dôme réalisé par l’artiste en phase de recherches.
systèmes numériques ésotériques aux espaces à dimension infinie – que l’on ne trouve pas actuellement dans le monde qui nous entoure. En ce sens existent -ils ?
Beaucoup de mathématiciens, lorsqu’on les pousse un peu, avouent être platoniciens.
Le grand logicien Kurt Gödel a fait valoir que les concepts et idées mathématiques « forment une réalité objective qui leur est propre, que nous ne pouvons pas créer ou modifier, mais seulement percevoir et décrire ». Mais si cela est vrai, comment les humains parviennent à accéder à cette réalité cachée ? »
(extrait de l’introduction au projet « Is the universe a simulation ? » par Ewen Chardronnet).
Fantasme d’immortalité et dystopie écologique
Au cœur de la ruche, les reines engendrent des ouvrières et les ouvrières produisent des reines. Une colonie est donc immortelle même si les individus qui la constituent sont mortels. Le miel possède la particularité d’être imputrescible ; la gelée royale en nourriture exclusive de la reine lui offre une vie trente-cinq fois plus longue que celle des ouvrières. De tous temps, les abeilles et leur miel ont nourri un fantasme d’éternité pour les hommes, qui vendent leurs nectar et gelée royales comme produit miracle de longévité.
Or l’abeille est aujourd’hui également devenue un symbole de la dégradation exponentielle des habitats naturels, de l’état général de la nature et son dépérissement certain.
Un scénario apocalyptique, légende urbaine attribuée par erreur à Albert Einstein, entraine l’abeille et sa disparition prochaine vers l’extinction de l’espèce humaine. Une dystopie écologique dont la butineuse est centrale, gardienne d’un équilibre précaire, vient transformer l’imaginaire collective et ses symboles d’infini.
L’infini parcours ou le ruban de Möbius chez Patrick Tort
Dans l’épistémologie de Patrick Tort, la métaphore topologique du ruban de Möbius
illustre ce qu’il nomme l’effet réversif de l’évolution chez Darwin : la sélection naturelle, née de la lutte pour l’existence, sélectionne les instincts sociaux, dont le développement en « civilisation » s’oppose de plus en plus à la lutte pour l’existence, donc à la sélection naturelle.
L’image du ruban de Möbius sert à faire comprendre l’opération réversive. Composé d’une bande (2 faces) refermée après torsion d’un demi-tour, il ne comporte plus désormais qu’une seule face et qu’un seul bord. Si l’on nomme « nature » et « civilisation» les deux faces initialement opposées, on constate que l’on passe, à mi-chemin, de l’une à l’autre sans saut ni rupture (il ne saurait y en avoir au sein de la continuité «généalogique » qui demeure ici fondamentale). Le continuisme darwinien en anthropologie n’est pas simple, mais réversif. Le mouvement nature → culture ne produit pas de rupture, mais impose toutefois l’évidence sensible d’un « effet de rupture », car on est tout de même, progressivement, passé « de l’autre côté ». (source : Wikipedia)
Luce Moreau
Photographies issues des différentes résidences de l’artiste Luce Moreau, à Pertuis et en Slovénie © Luce Moreau, Les Palais.
Les Palais est un projet développé par Otto Prod avec le soutien de Diffusing Digital Art, Por Estos Dias, Lab Gamerz, Art-cade*
Galerie, Makery – Média des labs, la Région PACA, et l’Institut français de Slovénie.
Image en couverture : Les Palais, maquette en cire d’abeille, Luce Moreau.
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