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Jenny Abouav présente la performance Enveloppe au Performance Crossing festival 2019, à Prague, République Tchèque et reçoit le soutien de D.D.A Contemporary Art.
Enveloppe est une performance évolutive qui questionne l’hybridation d’un corps présent et absent qui se métamorphose en interaction avec l’espace. L’épiderme est traversé par les détails de son environnement et plonge le spectateur dans des changements d’échelles et de perceptions. La peau déformante de la performeuse projette et absorbe les variations lumineuses du paysage. Cette sculpture vivante se transforme lentement dans un mouvement perpétuel.
Interview par Constance Meffre
Constance Meffre : « Jenny, tu vas présenter à Prague lors du Performance Crossings Festival une performance intitulée Enveloppe. Ta démarche autour de cette performance me rappelle les paroles de La femme aux chiffres, personnage que l’on rencontre dans le texte Vous qui habitez le temps de Valère Novarina (« L’extérieur est à l’extérieur de l’extérieur . L’intérieur n’est à l’extérieur de rien. L’intérieur est à l’extérieur de l’intérieur. L’extérieur n’est pas à l’extérieur de lui. (…) » etc… »). Explique nous, quand as-tu imaginer cette performance ? Peux-tu nous en expliquer la genèse ? »
Jenny Abouav : « J’ai imaginé cette performance il y a deux ans. Elle est née lors de la création d’une autre performance autour de la posture et de la démarche qu’induit l’architecture d’un escalier où mon corps était projeté en ombre sur l’architecture. Il a fallu que je réfléchisse comment adapter cette performance à un espace extérieur en plein soleil [la cour du Mac Arteum]. Il fallait un dispositif complexe pour récupérer la lumière du soleil afin de créer une ombre sur l’architecture. Aussi, j’ai imaginé un contre point, un fanstasme exploré dans la Science Fiction sous différents aspects : comment avoir à la fois un corps transparent qui reflète le monde qui l’entoure et la lumière. C’est un corps avec les mêmes aptitudes qu’un caméléon, mais avec une peau miroir. »
Constance Meffre : « Tu proposes une sculpture mouvante réversive au revêtement métallique, une forme qui renverse, qui inverse et dont l’intérieur et l’extérieur s’entremêlent par le fait de différents procédés. Comment as-tu élaboré cette performance et quelles sont les différentes dimensions abordées ? «
Jenny Abouav : « Après plusieurs recherches j’ai trouvé ce tissu miroir, à la fois souple et rigide qui peut faire penser à du mercure, mais peut aussi avoir un aspect minéral. Il était important de réfléchir à cette peau comme à une sculpture, un volume qui pourrait prendre différentes formes en le manipulant. Pour sa conception, j’ai collaboré avec une costumière, Marie Pierre Morel-Lab. Nous avons réalisé plusieurs modifications, en tenant compte de l’expérience chaque fois renouvelée lors de cette performance.
Dans cette pièce, c’est l’ambiguité entre le corps et la machine qui m’intéresse et avec laquelle je joue. Aussi, le spectateur peut établir des hypothèses d’un système mécanique, voire électronique qui anime ce volume. Et même si le spectateur sait que c’est un corps qui active cette matière, la perception et l’expérience qui l’en a vient le faire douter que ce soit un corps, et non une machine qui fait se mouvoir cette forme non identifiable.
Il s’agit de parler de l’intelligence sensible du corps. La peau est l’organe le plus grand de l’être humain et elle possède une multidude de capteurs sensoriels. Cette performance questionne l’hybridation d’un corps présent et absent qui se métamorphose en interaction avec différents espaces. L’épiderme est traversé par les détails de son environnement et plonge le spectateur dans des changements d’échelles et de perceptions. Cette peau déformante projette et absorbe les variations lumineuses du paysage. Ce corps réfléchissant se transforme lentement dans un mouvement perpétuel. Il est témoin et évocateur d’une interférence sensible entre le paysage et le corps. Cette sculpture vivante évolue plastiquement à chaque performance. »
Constance Meffre : « Comment te sens-tu toi dans cette forme et comment perçois-tu le monde extérieur ? Te sens-tu très éloignée ou au contraire, présente au monde ? Et, qu’entends-tu une fois à l’intérieur et que fais-tu de ce que tu perçois ? »
Jenny Abouav : « Je ne perçois pas la même réalité que celui qui m’observe. Je suis plongée dans le noir, sans repère temporel, comme dans une petite capsule hors du temps. Parfois je peux apercevoir les pieds des personnes. Je suis moi-même dans une présence-absence.
Je suis plongée dans un double état de maîtrise du corps et d’abandon. J’oscille entre une maîtrise du corps comme un marionnétiste et un lâcher-prise où mon corps devient cette matière. Je deviens chaque plis, chaque mouvements en étant toujours attentive. Je suis bercée par les sons creux et plastiques de la matière et de ma respiration. J’essaye de réagir aux commentaires perçus selon l’acoustique du lieu. En même temps, cette matière devient ma peau et je deviens la matière, je suis ses plis. Ma perception est exclusivement sensible car je suis plongée dans le noir. »
Constance Meffre : « Enfin, cette enveloppe semble se mouvoir de manière continue. Comment acceuilles-tu les obstacles rencontrés ? Et, quelle place occupe la notion de temps dans ton travail ? »
Jenny Abouav : « L’un des obstacles est peu être de ne pas avoir toujours le temps de prendre un temps pour ralentir et me concentrer avant la performance.
Être dans des mouvements très lents et continus demande une écoute particulière. Aussi certaines interactions avec le spectateur peuvent être ressenties de manière exacerbée, car mon corps devient des millions d’antennes. Je suis poreuse aux énergies, commentaires et ambiances sonores des lieux. Par exemple, à Besançon, lors de la 10e édition du festival Excentricités, une femme a voulu rentrer en communication avec moi et a commencé à toucher ce volume sur toute sa surface. Ce n’était pas une mauvaise intention de sa part, au contraire, les gens peuvent toucher cette matière s’ils le désirent. Cet évènement s’est déroulé 3h30 après le début de la performance. À ce moment là, pour moi en terme de sensation, ces effleurements appuyés ont eu un effet intrusif. Il peut y avoir une difficulté à gérer un sentiment d’oppression ressenti très fortement par la présence des gens qui peuvent être très proches.
Oui, la notion de temps occupe une place primordiale dans ma pratique.
La lenteur est l’un des axes essentiels de mon travail. Ce ralentissement permet une disposition particulière à l’attention. La durée de la performance, entre 3 et 4h, permet d’investir une autre dimention temporelle. Cet étirement confronte le spectateur à un temps ralenti, presque suspendu, en décalage avec le rythme ambiant. »
Interview – 24 avril 2019
Festival Parallèle – Exposition La Relève



BIOGRAPHIE
Jenny Abouav, est une jeune artiste née en 1991, réalise des perfomances, des installations et des expériences immersives en se servant du son, de la lumière et de la sculpture pour rendre visible ces liens tissés avec l’acoustique et l’architecture d’un espace. Ses pièces s’articulent autour de la fragilité, du vide, du silence, et de la lenteur. Après une formation universitaire à Bordeaux en cinéma puis à Montréal en création sonore et nouveaux médias, elle obtient son DNSEP à l’École Supérieure d’art d’Aix-en-Provence. Elle a présenté son travail au Festival Parallèle à Marseille, à Ardenome à Avignon, au Mac Artenum, à la Biennale d’art numérique de Montréal, au Festival International du film documentaire de La Rochelle, à la Nuit Blanche du festival Montréal en Lumière et collabore avec Camille Renarhd pour l’installation Voix #2 à l’IAC de Villeurbanne.
©Margaux Vendassi_Festival Parallèle
