Pièce mixte pour soprano et système de diffusion directionnelles, 40 minutes
Auscúltare, est une pièce musicale mixte, c’est à dire que celle ci est faite d’une bande sonore enregistré en temps différé (pas de traitement en direct) et de 4 chanteuses sopranos.
La bande sonore est diffusée par 4 haut parleurs ultra directionnelles fixés sur 4 pieds motorisés permettant de les mettre en mouvement verticalement et horizontalement.
Le procédé consiste dans une superposition de la voix avec des sons de synthèse, de telle manière que la voix humaine complète, imite et prolonge les enregistrements dans une intention de brouiller les frontières entre nature et culture.
Il s’agit de créer une relation mimétique entre la voix humaine et la synthèse sonore dans un environnement acoustique.
L’appui sur des modèles, en particulier des modèles naturels bruts d’origine animale et d’origine inorganique permet d’interroger les fondements anthropologiques même de la musique.
Ce projet s’inscrit, dans la continuité de la première pièce mixte Umwelt de Bertrand Wolff.
Auscúltare est une co-production G.M.E.M. – Centre National de Création Musicale, D.D.A Contemporary Art et Mujō.
Il reçoit le soutien de la Région PACA.

Résidence au GMEM avec Bertrand Wolff et Raphaele Kennedy (Soprano)

Premiére résidence de recherche au GMEM – Centre National de Création Musicale à Marseille, février 2021.

crédit photo: Guillaume Stagnaro
Entendre l’espace : une interview de Bertrand Wolff
Avec Auscúltare, une co-production Mujō et D.D.A, en partenariat avec le G.M.E.M. – Centre National de Création Musicale, Bertrand Wolff explore les relations entre son et espace, proposant une « écriture des morphologies sonores ». Cette pièce musicale mêlera musique électronique et voix, deux éléments formant des couches distinctes puisqu’il s’agira d’une part d’une bande sonore de synthèse et d’autre part du chant live de quatre sopranos. Sans parole, non traité, parfois improvisé, ce chant s’inspirera de l’idée de protolangage, cet ancêtre lointain de nos langues dont nous ne pouvons que fantasmer la nature. Entouré par les haut-parleurs et par les interprètes en mouvement, entre vibrations électroniques et onomatopées crues, le public sera ainsi plongé au cœur d’un dialogue humain-machine qui fera raisonner l’environnement d’une manière inédite durant quarante minutes.
Nous avons rencontré Bertrand Wolff au G.M.E.M. où il est actuellement en résidence avec Guillaume Stagnaro, qui l’accompagne sur la conception de pieds motorisés visant à faire entrer les enceintes en mouvement. Habituellement utilisés de manière statique dans certains lieux publics pour diffuser des messages à l’attention des visiteurs, ces haut-parleurs directionnels vont ici générer des réverbérations variables en fonction de la surface vers laquelle ils seront tournés. D’où l’importance de déterminer en amont quels types de fonds résonnent le mieux, objectif de cette première phase de création. Au milieu des machines, des diodes et des câbles, nous avons eu la chance d’en apprendre davantage sur le travail de Bertrand et de découvrir cette sensation surprenante d’ « entendre l’espace ».
Rien que dans ce petit espace de travail, il est impressionnant de sentir le son se réverbérer aux quatre coins de la salle. Lorsque tu seras plus avancé dans le processus de création, comptes-tu concevoir la pièce sonore sur mesure pour un lieu en particulier ou bien va-t-elle être adaptable à différents espaces ?
L’idée est d’adapter la pièce à des espaces architecturaux différents pour voir comment elle réagit, donc on va faire beaucoup de tests en amont dans des espaces de natures variées pour voir comment on peut jouer avec cette donnée. Les enceintes fonctionnent mieux dans des espaces très réverbérants, ce qui est un peu l’inverse des salles de concert qui ont un traitement acoustique permettant de contrer certaines fréquences. Personnellement, je trouve intéressant de jouer avec les résonances propres à chaque espace, avec des lieux qui ont des acoustiques un peu particulières comme les lieux d’art, les friches ou les églises par exemple. Toutes les œuvres sacrées ou religieuses ont été composées pour être jouées dans des lieux particuliers, ici l’idée est un peu la même. Il me semble important de remettre in situ des situations concertiques à l’heure où les compositions d’aujourd’hui sont standardisées et peuvent être écoutées à n’importe quel moment et sur n’importe quel support. C’est un peu l’inverse qu’on fait ici : c’est une musique locale.
Dans ce contexte, du point de vue de l’espace et du temps qui sont créés, quel est le rapport que tu souhaites générer avec le public ?
D’un point de vue spatial, selon où le public va être placé, les sons seront perçus différemment. Donc cette expérience sonore va leur donner accès à une nouvelle perception de l’espace acoustique. Je trouve par ailleurs intéressant d’être dans une situation collective et d’avoir une concentration accrue dans notre rapport à ce qu’on entend, ce qu’on perçoit et ce qu’on ressent. C’est aussi important qu’on soit dans des formes de proximité avec les interprètes. Dans la musique mixte que je fais, les instrumentistes ou les chanteuses ne vont pas être reprises ni amplifiées, elles n’auront pas de micro. Cela joue sur notre perception et permet de créer une position d’écoute privilégiée. Cette pièce est par ailleurs déterminée par les enceintes et je ne veux donc pas faire d’enregistrement en stéréo, ça n’aurait pas de sens. C’est une musique figée au sens où elle est écrite mais elle ne peut être écoutée réellement qu’en situation de live. Cela prend le contrepied de l’écoute ultra individualisée qu’on peut obtenir en pressant des disques ou en diffusant sur internet. Ça crée un moment collectif.
Si tes travaux sont principalement sonores, ils laissent une place importante au visuel avec des partitions très graphiques et, dans le cas d’auscultare, une dimension à la fois presque installative et chorégraphique… Quel est ton rapport au visuel ? Cette pièce pourrait-elle aussi être définie comme une performance ou une installation ?
Le visuel est pour moi un support. J’aime beaucoup collaborer avec des cinéastes, comme ça été le cas par le passé, mais dans mon travail propre je suis assez attaché à l’idée d’ « écoute réduite », c’est-à-dire de ne pas superposer d’autres langages au son en ajoutant de l’image. Je suis en fait assez méfiant par rapport à la place du musicien, qui fait déjà écran lors d’un live puisqu’on associe forcément à l’objet musical les gestes qu’il réalise. L’idée de l’écoute réduite c’est de ne pas forcément associer la pièce au musicien, de décontextualiser le son par rapport à l’image, comme nous l’avions fait dans umwelt. Je reste donc sur un registre très musical et il ne s’agira pas là d’une installation, car il y a pour moi dans l’installation une idée de reproductibilité alors que dans une situation de concert il y a un début et une fin. Les enceintes ne vont pas être amenées à rester dans le lieu après et avant le concert. Elles seront visibles, mais la dimension installative doit rester secondaire : la finalité est une pièce de musique. On ne va donc pas accentuer la présence des enceintes, ni la cacher pour autant. Concernant la dimension chorégraphique, je ne sais pas encore quelle forme cela prendra, mais on peut en tout cas parler d’une écriture du mouvement ; étant donné qu’il va y avoir une écriture du mouvement des enceintes il va falloir aussi écrire en rapport avec celui-ci le mouvement des interprètes.
En tant qu’artiste musicien expérimental, tu te trouves à la croisée entre
plusieurs mondes. Avec quels types de lieux est-ce que tu travailles
principalement ? Plutôt des lieux d’art ou des salles de concert ?
Je ne travaille pas si souvent avec des lieux d’art. On l’a fait par le passé, on a été invité avec notre formation postcoïtum pour jouer lors de vernissages en lien avec le travail de Paul Destieu, Gilles Desplanques ou le collectif N.U. par exemple. Mais en général, je joue plutôt dans des salles de concerts ou des lieux de musique contemporaine. Le rapport entre musique et art contemporain est compliqué. Quand on est dans un entre-deux comme moi, on travaille beaucoup avec les C.N.C.M., mais c’est plus compliqué avec les lieux plus institutionnels comme les opéras ou les conservatoires, qui ont une histoire très liée à la musique écrite, qui présentent surtout de la musique de répertoire et s’adressent à un public particulier. A Marseille, il y a néanmoins des alternatives intéressantes comme l’Embobineuse ou DATA, qui proposent de la musique improvisée et permettent à des projets plus ouverts d’exister. Des structures comme le G.M.E.M. sont également précieuses car au cours des résidences y sont créés à la fois des objets plastiques et des formes musicales très contemporaines. Il y a une vraie mixité, des gens qui proposent des formes très différentes et cette optique plurielle me semble très intéressante.
La dimension naturelle, environnementale de ton travail se mélange avec des appareils à la pointe de la technologie. « Symbiose », « transe », « protolangage »… : j’ai le sentiment que tu portes un regard curieux, presque documentaire, sur l’humain et ses origines à travers le sonore.
Je ne travaille pas particulièrement sur la dialectique technologie/nature, mais ce qui m’intéresse dans la musique c’est comment des formes musicales sont liées à des formes ou des évènements externes, comme on peut le voir dans les chants animaux – par exemple ceux des oiseaux ou des batraciens -, et comment cela devient musique. C’est pareil avec l’humain, je m’intéresse à comment du proto-language on a finalement progressivement fait musique et ce que ça donne aujourd’hui. Le geste dansé est venu avant le chant et je pense que dans ce rapport mimétique de singer les sons ambiants, les premières formes musicales sont advenues. Le protolangage n’était pas composé de paroles mais d’onomatopées et de bruits. Je pars donc de recherches à ce sujet, de suppositions, puis je laisserai les interprètes prendre pleinement leur place et amener leurs propres matériaux.
Cléo Verstrepen pour D.D.A, le 5/03/2021