Avec l’artiste Luce Moreau, nous sommes accueillies en résidence pour une période de 18 à 24 mois dans une entreprise franco-suisse, pour un soutien en production sur des projets artistiques (soutien en compétences techniques, financières et humaines) et sur l’accompagnement en développement de projets.
Le point de départ est une rencontre, entre moi-même, productrice, et la directrice de l’entreprise, Gaëlle, sur un salon Art/Sciences.
Une aventure a été imaginé avec l’artiste Luce Moreau. Une collaboration est née deux années plus tard.
Après une première semaine passée à One Bee en observation au mois de juin 2016, nous avons pu définir plus ou moins nos objectifs. Nous nous retrouvons ce mois de janvier 2017 pour entamer notre série de résidence en entreprise.
Le cadre est totalement ouvert. Cependant nous cherchons souvent à definir notre position. Nous avons parfois une sorte de complexe de la page blanche. Nous pouvons inventer au fur et à mesure de notre avancée avec une très grande liberté.
L’entreprise déploie une approche d’ « innovation raisonnée »
L’entreprise entretient des partenariats privilégiés avec les grands laboratoires du CNRS, CSEM à Neuchâtel, CERN, CEA-Leti à Grenoble, FEMTO-ST à Besançon, avec des établissements universitaires, à Genève et en Savoie et avec des industriels.
Spécialisée dans l’innovation technologique, notamment dans la mécatronique et les systèmes communicants autonomes, ses équipes (16 personnes) sont composées essentiellement de docteurs et d’ingénieurs. Le but de cette entreprise est d’accélérer des transferts technologiques vers des entreprises industrielles de France comme de Suisse. Il s’agit de conduire des projets de recherche innovants, en privilégiant la mutualisation des objectifs ainsi que des ressources. Celle-ci favorise ainsi la mise en réseau des compétences et des moyens spécifiques de chaque partenaire dans le domaine des microtechnologies.
Cette entreprise défend l’idée d’une Innovation raisonnée car elle déploie une approche motivée par le respect de l’homme, des valeurs humaines et de l’environnement. Notamment en développant des projets Art & Technologies et en conduisant un projet interne ONE BEE pour la protection des abeilles, en les équipant ainsi que les ruches de capteurs intelligents pour étudier leur déplacement et leur fonctionnement.
La relation entre l’art et l’entreprise
Pour qu’une entreprise acceuille un projet artistique en son sein, je réalise qu’il doit s’agir d’un choix fort de la part de la direction. Effectivement, ici, Gaëlle a cette volonté d’intégrer au sein de l’entreprise un « espace » dédié à la rencontre avec l’art, des temps donnés d’échanges entre salariés et artistes pour stimuler l’imaginaire, développer de la motivation, de la transversalité, de la fierté d’appartenance, de la créativité.
Après avoir mené quelques recherches, je me rends compte que depuis quelques années les relations entre l’art et l’entreprise connaissent une importante évolution. Une relation modifiée par l’évolution des pratiques artistiques. Un certain nombre d’artistes ne conçoivent plus leur travail en termes de production d’objets mais en termes d’échanges et de services. Ces artistes, à l’instar des entreprises tertiaires, ne parlent plus d’oeuvres, mais de projet, une terminologie qui implique une pratique artistique empruntant au fonctionnement de l’entreprise, à ses méthodes d’organisation, à son économie. (cf. Philippe Mairesse « Quand l’art interroge l’entreprise »)
Du côté de l’entreprise, Gaëlle m’a témoigné de ses difficultés au quotidien à défendre ses idées, ses choix directionnels auprès de ses pairs, partenaires et financeurs. En effet, à l’heure où l’entreprise doit rendre des comptes à ses actionnaires, salariés et clients, la culture dans la communication doit correspondre à une vraie stratégie.
Aujourd’hui, certaines entreprises ont acquis que l’art est un excellent moyen de se démarquer de la concurrence, de s’inscrire dans son temps, de donner du sens et de mettre en avant les valeurs de la marque.
Pour la culture, c’est également une opportunité de nouveaux canaux de diffusion et d’ouverture sur des publics différents, et permet l’accès à un nouveau modèle économique.
Un cheminement
Ce dont nous pouvons temoigner ici c’est que nous nous estimons « chanceuses ». Nous sommes entourées par une équipe généreuse, emprunte d’une grande fraîcheur, riche d’idées et très englobante.
Nous apprenons à décomplexer les échanges, et à être clairs sur les objectifs des deux parties afin que chacun puisse sortir grandi de cette collaboration.
« Une résidence c’est un temps donné où l’on est soucieux du cheminement effectué. Il n’y a pas de production obligatoire, on n’est pas dans l’industrie ! » nous rappelle Gaëlle.
Les objectifs artistiques se définissent avec le temps, se transforment en fonction des découvertes faites au sein de l’entreprise et évoluent aussi en fonction des complicités naissantes. Nous sommes dans un cadre de confiance, et pouvons alors avancer à notre rythme tout en se donnant des objectifs qui deviennent relativement ambitieux. Luce Moreau ayant notamment axé une part de son travail sur des recherches scientifiques et là l’entreprise donne une nouvelle dimension à son travail, en apportant un réel savoir-faire et une solide connaissance technologique qui peut faire évoluer l’oeuvre.
Cette aventure marque une étape dans le cheminement de l’entreprise et nous donne un peu la sensation de défricher un terrain quasi vierge, d’être des exploratrices !
Constance Meffre – 20 janvier 2017